
TVA sur marge, ce que le Conseil d’État vient d’invalider…
Dans un arrêt inattendu et controversé, le Conseil d’État a récemment confirmé la condition d’identité de qualification juridique entre le bien acquis et le bien cédé exigée par l’administration fiscale pour l’application du régime de la TVA sur marge à certaines livraisons d’immeubles.
TVA sur la marge : un revirement de jurisprudence très défavorable aux lotisseurs …
Selon le Conseil d’Etat, la TVA sur marge n’est pas applicable aux livraisons d’immeubles de plus de cinq ans ou de terrains à bâtir à défaut d’identité de qualification juridique entre bien acquis et bien cédé ; Dans cette hypothèse, ces livraisons sont donc soumises à la TVA sur prix ! Dans un arrêt inattendu et controversé, le Conseil d’État a récemment confirmé la condition d’identité de qualification juridique entre le bien acquis et le bien cédé exigée par l’administration fiscale pour l’application du régime de la TVA sur marge à certaines livraisons d’immeubles. A titre de rappel, lorsqu’elles sont réalisées par un assujetti agissant en tant que tel, les ventes de terrains à bâtir (imposables de plein droit) et les livraisons d’immeubles bâtis achevés depuis plus de cinq ans (imposables sur option) sont en principe soumises à la TVA sur le prix de vente total. Toutefois, elles ne sont imposables sur la seule marge réalisée par le cédant si l’acquisition du bien ne lui a pas ouvert de droit à déduction de la TVA, suivant les dispositions de l’article 268 du Code général des impôts (CGI). A ce sujet, l’administration fiscale considère depuis longtemps dans sa doctrine que l’application de ce régime de la TVA sur la marge impose que le bien revendu soit identique au bien acquis quant à sa qualification juridique, c’est-à-dire qu’il est réservé soit : - aux cessions de terrains à bâtir qui ont été acquis précédemment comme terrains n’ayant pas le caractère d’immeubles bâtis ; - aux cessions d’immeubles achevés depuis plus de cinq ans et acquis précédemment en l’état d’immeuble bâti.
Ce faisant, l’administration soumet le régime de TVA sur marge à une condition supplémentaire (identité de qualification entre l’achat et la revente) qui ne figure pas expressément à l’article 268 du CGI, lequel exige seulement que l'acquisition par le cédant n'ait pas ouvert droit à déduction de TVA…
L’administration fiscale estime ainsi que le régime favorable de la marge n’est pas applicable (et que la cession doit être soumise à la TVA sur le prix de vente total) : • A la cession d’un lot de terrain à bâtir qui a été acquis en immeuble bâti (terrain d’assiette ou mitoyen d’un immeuble bâti acquis en bloc par exemple, terrain revendu après démolition du bâti existant…) ;
• A la cession d’un immeuble de plus de cinq ans par un investisseur qui en a assuré la maîtrise d’ouvrage et donc la construction, dès lors que le bien n’a pas été acquis en son état d’immeuble bâti, mais sous forme d’un terrain à bâtir, y compris dans l’hypothèse où l’achat du terrain d’emprise a consisté en l’achat d’un immeuble bâti suivi de sa démolition et de la reconstruction.
Il convient de préciser que l’administration fiscale n’exige plus depuis 2018 que le bien revendu soit identique au bien acquis quant à ses caractéristiques physiques. Cette seconde exigence avait pendant quelques mois été insérée dans la documentation BOFIP puis a été abandonnée… La condition d’identité juridique imposée par l’administration fiscale est à l’origine de nombreux contentieux entre cette dernière et les professionnels de l’immobilier quant à l’application ou non du régime de la TVA sur la marge aux ventes de terrains à bâtir ou d’immeubles bâtis achevés depuis plus de cinq ans. De nombreuses décisions juridictionnelles (Tribunaux Administratifs et Cours Administratives d’Appel) rendues en 2018 et 2019 avaient toutes censurées la position de l’Administration et entérinée l’application de la TVA sur la marge même en l’absence d’identité juridique entre l’achat et la revente. Prenant le contrepied de la solution favorable retenue notamment par la Cour administrative d’appel de Lyon dans la même affaire, le Conseil d’État a lui jugé dans un arrêt du 27 mars 2020 que l’application du régime de la TVA sur marge nécessite une identité de qualification juridique entre bien acquis et bien cédé et a ainsi confirmé, sur ce point, la position retenue par l’administration. Dans cette affaire, une société avait acquis une parcelle portant un immeuble d’habitation achevé depuis plus de cinq ans auprès de particuliers. Après avoir procédé à la démolition de l’immeuble et à la division du terrain en plusieurs parcelles de terrains à bâtir, elle avait revendu ces terrains en appliquant le régime de la TVA sur la marge, ce que l’administration avait remis en cause. Selon le Conseil d’Etat, l’administration fiscale est – en l’absence d’identité entre l’achat et la revente- fondée à assujettir la revente de ces parcelles de terrains à la TVA sur prix total et non à la TVA sur marge.
Cette position rigoureuse va s’avérer très pénalisante pour les opérateurs immobiliers et notamment les lotisseurs puisque c’est la TVA sur prix qui va ainsi devoir être appliquée notamment aux opérations classiques d’achat de ténement bâti avec des dépendances en vue d’une revente du bâti en l’état et des lots de terrains après découpe. Outre qu’elle est fondée sur une condition supplémentaire d’achat en vue de la revente (impliquant selon le Conseil d’Etat une identité juridique entre bien acquis et bien cédé) certes prévue par l’article 392 de la Directive TVA mais absente de l’article 268 du CGI qui en assure la transposition en droit interne français, cette position juridique pose également des difficultés en termes de neutralité de la TVA et de distorsions de concurrence. Conscient des doutes soulevés par son arrêt du 27 mars 2020, le Conseil d’État a cependant décidé le 25 juin dernier, dans le cadre d’une affaire similaire, de surseoir à statuer et de poser à la Cour de Justice des Communautés Européenne (la juridiction suprême en matière de règlementation TVA) une question préjudicielle, l’interrogeant sur la portée de la Directive TVA à l’égard du régime français de la TVA sur marge applicable aux livraisons de terrains à bâtir, lorsqu’ils ont été acquis sous une autre qualification juridique. Dans l’attente de la réponse de la CJUE qui demeure à ce jour incertaine, il convient pour les professionnels de l’immobilier réalisant habituellement des opérations d’achat-revente d’immeubles de plus de cinq ans ou de terrains à bâtir dans lesquelles la condition d’identité de qualification juridique entre le bien acquis et le bien cédé n’est pas respectée, d’appliquer la position défavorable entérinée par le Conseil d’Etat et donc d’assujettir ces reventes à la TVA sur le prix total et non sur la marge.
Pierre-Edouard DELONG Jérôme CHETAIL
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